Les négociations
de
la
COP16
sur la
biodiversité
ont repris mardi, à
Rome.
Des scientifiques disent
leur
stupéfaction
devant
les
reculs
qui
affectent
la
protection
de
la
nature
et essaient
de
se battre avec leurs moyens.
Ils
se
mettent à
quatre
pattes
dans des
champs
de
blé
sans
réussir ă
y
trouver «
la
moindre pfnntufe».
Ils
voient les
paysages se
vider,
des espèces s'évanouir
— même
parmi les
plus communes. Ils
documentent
des phénomènes defiant
l'entendement:
8oo millions d'oiseaux
ont
disparu d'Europe en
quarante
ans,
les
départements français
ont perdu en
moyenne onze
espèces de
papillons de
jour en vingt ans, un
million d'espèces animales
et
végétales sont menacées d'extinction à l'échelle mondiale.
Ils
voient,
aussi,
de
grands
rapaces
faire
leur
retour
grâce
ă
des
politiques de
conservation, ou plongent
dans
des aires marines réellement protégées qui
grouillent de vie.
Par
leur
travail de
terrain
et de
recherche,
les
scientifiques
spécialistes
de
la
biodiversité
sont
aux premières loges de
la
destruction
de
la
nature.
Sur
leur
bureau, les
rapports
décrivant
la
gravité
du problème s'accumulent. Pourtant, la
dizaine
de
chercheurs
et de naturalistes interrogés dresse le même constat: le
sujet
reste largement
ignore,
et fait même aujourd'hui l'objet de nets reculs. «
Une
vraie prise de
conscience
serait une prise
de
conscience
qui
mène
à
l'action.
Or
cela
n'existe pas du
tout»,
affirme
Vincent Bretagnolle, écologue et directeur de
recherche
au
Centre
d'études biologiques de Chizé (CNRS-université
de
La
Rochelle).
«J'ai
le sentiment
que
plus les eØets de
l'ërosion
de
la
biodiversitê deviennent
tangibles
et massifs, plus il y a un
recul
de la
mobilisation
sur
ces
questions, se
désole aussi
Didier
Gascuel, professeur en
écologie
marine ă Agrocampus Ouest.
Les
partis politiques qui nient la
crise
se renforcent avec elle, c'est désespéront.»
Pendant
des
décennies,
l'Union
européenne
(UE)
a
fait
progresser
le
droit
de
l'environnement
—
sans réussir à
enrayer le
déclin de
la
biodiversité.
Attaques contre la
loi
sur
la
restauration de
la
nature, report de l'entrée
en
vigueur du
règlement
sur la
deforestation importée,
affaiblissement de la protection du loup... Dans un
contexte de détricotage du
pacte
vert, chaque avancée semble désormais pouvoir être remise en
cause.
En
France,
la
tendance
est similaire, les
opérateurs
charges de
protéger
la
nature
étant
visés
par
des
attaques
sans
precedent.
Le
14
janvier,
François
Bayrou, dans son
discours
de
politique
générale, a accusé
les agents de
l'Office
français de
la
biodiversité de commettre
«
une
faute»
en
allant
contròler des
fermes
avec leur
arme
de service. «Rien
que le
fait
que le
premier
ministre puisse s'en prendre à l’OØìce français de la
biodiversitë
est inconcevable,
critique
Philippe Grandcolas, directeur adjoint scientifique
de
l'Institut
écologie
et
environnement
du
CNRS.
Il
y
a
une
indiffêrence,
voire
un
dêni,
face
nux
enJeux, dans
un
contexte
de
populisme. On
ne
peut qu'être dêgoûtë d'une telle inconsëquence.»
«Sentiment
d'impuissance»
La
question n'est pas nouvelle,
mais
se pose avec toujours plus d'acuité: dans un
tel
contexte, que peuvent faire
de
plus ces scientifiques ? Au
sein
du
Centre d'écologie et des
sciences de la conservation (Cesco) du
Muséum national d'histoire
naturelle, un groupe de
travail Recherche et
transition
est né il y a
un an
pour formaliser les
réflexions
autour du rôle des chercheurs. Comment aller
au-delà
de
la
publication
d'articles
dans
des
revues
scientifiques
?
Faut-il
sortir
des
laboratoires
?
Focalisation
sur
la
crise
climatique
De
plus en
plus de scientifiques
prennent
de
leur temps pour sensibiliser
les
citoyens, les acteurs de terrain
et
les
élus,
participer à
des
comités et
des
instances à
l'interface entre la
science
et
la
politique. Au
risque de se voir taxés de
militantisme, lorsque les données et les
faits ne vont pas dans le
sens
souhaité par les décideurs.
Difficulté des
responsables politiques à
prendre des décisions de
moyen et long terme, amnésie
générationnelle
face à
l'appauvrissement
des
écosystèmes, déconnexion
d'avec la
nature, complexité des
enjeux,
représentations culturelles...
Les obstacles à
une
réelle
prise en
compte de
la biodiversité sont
nombreux.
Selon la plupart des scientifiques
interrogés, la
focalisation sur la crise
climatique, qui
contribue à «
écraser
» les
questions du
vivant, est l'un d'entre
eux.
Dans les sphères politiques,
économiques ou
médiatiques,
la priorité est toujours
donnée
à la question du
réchauffement
et des émissions de C
2 tort,
selon Vincent Bretagnolle.
Il
est
encore
temps
de
se
mobiliser
«En
tant
que
scientifique,
une
telle
inversion des priorités
me
laisse
pantois, dit-il.
La
surexploitation
des
ressources
aura
beaucoup plus d'impacts que la crise climatique.
Je
ne comprends
pas
que nos concitoyens
ne
réalisent pas que
leur
vie
dépend
des écosystèmes. Leur nourriture, l'eau, l'air
et
leur
santé reposent sur
la
nature.
Et
les océans, les forêts et
les
sols sont les seuls instruments
gratuits
permettant
de
capturer du carbone présent dans l'atmosphère.»
«La perception des deux crises est
mélangée, mais toujours au bénéfice du climat», estime
aussi Philippe Grandcolas. Les inondations par exemple sont des
aléas
climatiques, mais elles sont aussi très
souvent liées
à
des
terrains artificialisés
ou
à
des
sols
abîmés,
qui
n'absorbent
plus
l'eau.
Pour
les scientifiques,
l'enjeu consiste à
relier les
différentes crises à
l'érosion de
la
biodiversité, mais aussi à
en
montrer les effets directs sur la vie quotidienne.